lundi 2 mai 2016

Le 28 avril 2016, à 15h 35, sur la chaîne ARTE, "LES POUVOIRS DU CERVEAU – DÉCHIFFRER LA CONSCIENCE : VOYAGE DANS L’ ÉTOFFE DE NOS PENSÉES".


Voici un remarquable documentaire, qui a le mérite d’être très récent, et qui aborde, du point de vue de la recherche neuroscientifique la plus en pointe, une question essentielle, que se posent les philosophes depuis X temps : quelle est la nature de la conscience humaine ?
D’emblée, une voix féminine lénifiante nous met sur les rails, sur un fond d’images maritimes et de musique classique prenante et solennelle : racontée par une voix intérieure, notre conscience serait un film […] tissé de souvenirs et de sensations qui n’appartiennent qu’à vous.
Mais encore ? La conscience humaine ne demeure-telle pas un grand mystère ?
Peut-on OBSERVER la conscience, ce JE, ce MOI qui fait l’expérience de la vie et du monde ? 
Empiriquement, bien sûr, une telle observation est possible. La conscience est sans nul doute liée à un sentiment global de présence au monde, alimenté par le fait d’être là, de voir, d’entendre, de ressentir – et de réagir à ces informations que nous transmettent nos sens. Sensations et émotions sont donc à la base de la conscience. Au point qu’on pourrait d’ores et déjà en inférer un aphorisme, du genre « pas de conscience sans sensibilité », ou encore « plus on est sensible, plus on est conscient ».
Mais ce n’est pas tout : ce qui donne son unité à la conscience vient du fait que ça m’arrive à moi. La conscience résulte donc, aussi, de la perception de notre INTÉRIORITÉ, sans laquelle, la science est formelle là-dessus, elle n’existerait pas.
Pour Antonio DAMASIO, spécialiste du cerveau de renommée mondiale et anticartésien convaincu, il ne fait pas de doute que la conscience est  un aller-retour incessant entre notre corps et le monde qui l’entoure. Nous sommes, bien sûr, matière, mais matière organisée de façon extrêmement complexe.
Or, lorsqu’un certain degré de COMPLEXITÉ se trouve atteint, l’on constate l’apparition de ce que les savants nomment des ÉMERGENCES, c'est-à-dire des phénomènes totalement inédits. En d’autres termes, la complexité crée du neuf (autant que la sélection naturelle, les mutations aléatoires ou la dérive génétiques). Notre conscience en est un exemple particulièrement frappant.
La conscience émerge de l’activité complexe qui existe entre l’environnement, notre corps et notre cerveau, nous précise un autre scientifique. Elle résulte, poursuit-il, de la capacité biologique d’emmener dans son cerveau une représentation de plus en plus sophistiquée du monde extérieur. Ladite capacité biologique s’est développée au fil de l’évolution des organismes vivants, probablement pour la raison qu’elle constituait un avantage (avantage qui reste à trouver).
Mais, en même temps – et là est le plus troublant – il faut bien se dire que ce que nous voyons n’est que la RECONSTRUCTION inconsciente de la réalité extérieure.
Il y a bien, comme le postulaient les philosophes, un « en-soi » et un « pour-soi ». L’une des preuves les plus éclatantes de ce fait nous est apportée par de multiples tests, telle, par exemple,  l’ « expérience des points jaunes », qui montre la sélectivité de notre perception.
Reconstruction inconsciente ? Le terme « inconsciente » est primordial. Pourquoi ? Pas pour des raisons « freudiennes », mais pour la raison – beaucoup plus solide – que les spécialistes se sont aperçus, au cours de leurs multiples expériences dont certaines sont très récentes, que LE CERVEAU TRAITE DES INFORMATIONS QUI N’ ACCÈDENT PAS A LA CONSCIENCE.  A notre insu, il se livre sans cesse à d’innombrables calculs, et nous ne pouvons être conscients que de leur résultat final.
Les spécialistes sont formels : des expériences telles que celle des points jaunes leur indiquent clairement que LA PERCEPTION DE LA RÉALITÉ N’EST QU’UNE ILLUSION DONNÉE PAR LE CERVEAU. D’autres expériences, menées à partir d’images subliminales qui n’apparaissent que le temps de quelques millisecondes à l’observateur-cobaye, ne font que confirmer cette façon de voir : un chiffre subliminal met très exactement 33 millisecondes pour se voir refusé l’accès à la conscience et être, ainsi, perdu pour elle.
Grâce à l’imagerie cérébrale, nous connaissons maintenant le processus qui régit la prise de conscience d’un objet externe : tout commence par le stimulus rétinien résultant de la vision directe ; ce stimulus des cellules de la rétine est ensuite, et très vite, transmis aux aires visuelles qui sont logées dans le cerveau et qui, de suite, se lancent dans son analyse ; immédiatement après, l’analyse des données visuelles est transférée dans deux autres zones cérébrales, le cortex frontal et le cortex pariétal ; c’est à ce stade-là que se produit un processus d’harmonisation entre les différentes zones cérébrales convoquées : la représentation créée accède seulement alors à la conscience.
Cette dernière apparaît donc comme un PARTAGE D’INFORMATIONS qui se déroule dans le cerveau. Et, oui, on peut l’OBSERVER, nos machines magiques nous le permettent… Électrodes crâniennes, scanners, IRM mettent en relief, sous nos yeux, l’embrasement du cerveau qui constitue la signature neuronale de la conscience !
Toutefois, on ignore toujours quel est le premier moment de celle-ci.
Quand et comment la conscience naît-elle chez le fœtus et le bébé, par exemple ? Pour ce qui est du fœtus, on est encore bien en peine de le déterminer de manière certaine. En revanche, chez le bébé, on suppose qu’elle COMMENCE PAR DES PERCEPTIONS.
Pour en avoir le cœur plus net, on s’est récemment mis à soumettre à des expériences d’imagerie cérébrale des bébés de cinq à quinze mois d’âge. Les résultats en ont pointé les mêmes mécanismes que chez l’adulte, à ceci près que le temps de traitement des stimuli par le cerveau, encore immature, du tout jeune enfant est trois à quatre fois plus long qu’il ne l’est dans le cas de l’Homme fait. Il n’empêche que, dès cinq mois, le bébé est conscient de ses perceptions (puisque, déjà, il en garde mémoire); autrement dit, on sait qu’il pense, de façon sûre.
Développée dans les années 1670, l’EXPÉRIENCE DU MIROIR nous a décisivement renseignés sur l’émergence précoce de la CONSCIENCE DE SOI. Le fameux test de la tâche de peinture sur le visage révèle que cette dernière s’acquiert, chez l’enfant, entre le dix-huitième mois et le vingt quatrième, au moment où le sujet de l’expérience devient capable de se toucher lui-même en fonction du reflet qu’il voit dans le miroir – ce qui signifie qu’il se reconnait.
Il va de soi également que, chez l’humain, les attentes du monde (et, tout particulièrement, le besoin d’être aimé, qui est essentiel) comptent énormément dans le processus d’élaboration de la conscience, qui, comme une spécialiste le souligne, s’effectue par empilement de couches successives, un peu comme dans un processus de sédimentation géologique.
Pour les neuroscientifiques, la conscience est une IMAGE RÉFLÉCHISSANTE DE SOI tout en même temps qu’un FILTRE – ce qui la rend d’autant plus captivante : en étant conscient, on se raconte une histoire pour vivre sa propre histoire, sans forcément comprendre que c’est une histoire…ouh !
L’Homo sapiens est, par excellence, UNE ESPÈCE FABULATRICE (le mot est de Nancy HOUSTON). Compte tenu de cela, rien d’étonnant, finalement, au fait que nous créons la fiction de notre vie.
Il faut bien se dire que, chez notre espèce, le récit est irrépressible. Non content de parler histoire de se raconter des histoires – ou des historiettes – nous interprétons automatiquement ce que nous avons devant les yeux. Notre cerveau fait de nous des sortes de machines interprétatives, car il lui faut DONNER DU SENS. Comme s’il ne parvenait pas à supporter que le monde ne lui « parle pas ». Serait-ce là le résultat d’un désir, inné, d’appropriation, de maîtrise ? D’une angoisse « instinctive » qui aurait un impérieux besoin de se rassurer ?
Nos savants, semble-t-il, hésitent à se prononcer là-dessus, même s’ils concèdent clairement que nous sommes enfermés dans le sens, et que le sens prend place dans l’écart entre le réel brut et sa représentation. Belles phrases, dignes d’un philosophe !
Mais quel rapport existe-t-il entre la conscience et le langage ? « Au commencement était le verbe », nous disent bien des écoles de pensée. A cela, cependant, nos pionniers de la science du cerveau (et de la nouvelle anthropologie) répondent avec une singulière vigueur par la dénégation : on ne peut pas réduire la conscience au fait d’avoir un langage, une communication.
La preuve ? Ils la trouvent, là, dans ce qu’ils nomment LES ETATS DE CONSCIENCE ALTÉRÉE.
Nathan est un jeune homme très malade, en état de conscience minimal suite à un grave accident de voiture, lui-même suivi par un coma qui a duré quatre années. Parfois éveillé, parfois complètement absent, il exprime, dans un langage atrophié, qu’il se croit mort. Ce qui se passe en réalité, c’est que, diminuée, sa conscience est devenue fluctuante, intermittente. Lorsqu’il est en état d’absence, il n’a, en fait, conscience de rien, même pas du fait qu’il est vivant. Et c’est normal, nous dit-on, car quand nous sommes conscients, nous sommes toujours CONSCIENTS DE QUELQUE CHOSE.
Consécutivement à des mesures de l’activité cérébrale menées chez nombre de malades au cerveau très gravement détérioré (comateux, semi-comateux, paralysés, etc.), les savants ont pu constater que plus d’un tiers de ces malheureux individus se trouvaient dans le même cas que Nathan, réduits à une conscience fluctuante, certes, mais une conscience tout de même. Ce qui renforce l’idée que la conscience n’est pas dénuée de résistance, de force.
A Milan (Italie), le neurologue Marcello MASSIMINI – obsédé, depuis toujours, de son propre aveu, par la frontière entre être et ne pas être – a fini par élaborer ce qu’il appelle un CONSCIENTIMÈTRE, dispositif qui consiste à administrer une brève impulsion électromagnétique d’abord dans un cerveau éveillé, puis dans un cerveau en état de sommeil profond [sans rêves ], pour comparer leurs réactions (après mesure de l’écho de l’onde électromagnétique). Les résultats de cette expérience ont été pour le moins étonnants, puisqu’ils l’ont amené au constat qu’EN SOMMEIL PROFOND, NOTRE CONSCIENCE DISPARAÎT. Le sommeil profond, c’est, en quelque sorte, l’équivalent de l’anesthésie qui inaugure les interventions chirurgicales !
Mais qu’est-ce qui change exactement, par rapport à l’état de veille ?
Eh bien, à la fois beaucoup et peu : le cerveau ne s’éteint pas ; néanmoins la conscience s’évanouit. Dans le cerveau en éveil, le choc électrique se réverbère longtemps et de manière complexe. Par contraste, sa réponse pendant la phase de sommeil sans rêves, pauvre, qualifiée d’ennuyeuse, pourrait se comparer, d’après Massimini, à un court monologue, rien de plus.
Qu’est-ce qui fait toute la différence dans ce cas-ci ? Le degré de COMPLEXITÉ. Car mesurer [la] complexité [de l’écho expérimental], c’est mesurer notre état de conscience.
Le sommeil sans rêve est ainsi, par essence, une activité peu complexe. Et mesurer, de la sorte, la complexité de l’écho, de la musique de la conscience est un bien bel exploit !
En ce qui concerne le rêve, FREUD se trouve sacrément battu en brèche. Loin d’être, comme il l’a prétendu, « la voie royale vers l’inconscient », il se range au contraire pleinement dans la catégorie…des états de conscience.
Comment l’a-t-on su ?
En 1978, un savant anglo-saxon du nom de Stephen LABERGE s’est intéressé de très près au phénomène du RÊVE LUCIDE.
Le rêve lucide, explique-t-il, c’est rêver en savoir qu’on rêve, et cela se produit lorsqu’on se trouve à cheval entre rêve et éveil. Si le rêve n’était pas conscience, comment pourrions-nous le raconter ? Il semble que les psychanalystes n’aient pas pris cette question en compte.
Mais Stephen Laberge va plus loin : il n’hésite pas à prononcer des phrases qui défient un peu le « sens commun » : la conscience n’est qu’un type de rêve particulier ; être éveillé, c’est rêver en subissant la contrainte du réel…alors que rêver, c’est n’utiliser que ce qui est déjà à l’intérieur du cerveau [par exemple, les souvenirs], ou encore percevoir les choses sans la contrainte de la réalité. Voilà qui donnerait presque raison à Calderón de la Barca !
Sans les rêves, les savants soupçonnent fort que nous serions moins flexibles et moins créatifs.
D’un certain point de vue, affirment-ils aussi, nous sommes enfermés dans notre crâne.
Alors, où se situe le rôle de notre corps dans notre conscience ?
Il ne fait pas de doute que la conscience humaine fait appel au corps ; elle se rend bien compte qu’elle y est reliée, elle s’identifie à lui, en particulier à la tête. Le corps et la conscience sont  [par conséquent ] intimement liés.
En trompant, par des procédés artificiels, expérimentaux, le cerveau, démonstration a été faite qu’on arrive à tromper le corps – ou plus exactement, la représentation du corps que le cerveau se fait ; au point qu’on en arrive, même, à faire se prendre une personne tout à fait normale pour…une poupée !
A Berlin (Allemagne), on cherche la signature cérébrale de notre libre-arbitre.
Peut-on prévoir le choix de quelqu’un avant même qu’il ait la sensation d’avoir pris sa décision ? Eh bien, je vous le donne en mille, oui !
Au cours d’une expérience berlinoise impliquant un scanner ainsi que deux boutons à sélectionner, on est parvenu à deviner – à lire, plutôt, sur les images cérébrales en couleurs – le bouton sur lequel le « cobaye » allait appuyer sept secondes avant qu’il appuie dessus. Tout cela parce qu’à l’imagerie, certaines zones du cerveau s’activent selon le choix.
Conclusion qu’en tirent les scientifiques allemands : IL N’EXISTE PAS DE LIBRE-ARBITRE ; notre conscience subit des décisions qui sont comme la partie immergée d’un iceberg, et 95 à 98% de l’activité de notre cerveau serait inconsciente.
Car l’essentiel, pour lui, c’est avant tout de produire des pensées.
Donc, comment faire pour être plus libre ?  Est-ce seulement envisageable ?
A cela, les scientifiques tendent de répondre tout de même plus je prends conscience de ce qui est en train de se passer, plus j’augmente ma liberté.
De plus, certaines investigations ont aussi apporté la preuve que certaines entreprises visant le cerveau, telles, par exemple, la MÉDITATION et la PSYCHOTHÉRAPIE, possèdent le pouvoir de modifier le fonctionnement de ce dernier.
Afin d’aider ses confrères scientifiques à démontrer décisivement que LA CONSCIENCE INFLUENCE LE FONCTIONNEMENT DU CERVEAU, le prix Nobel devenu moine bouddhiste Matthieu RICARD (lequel totalise 30 à 50 000 heures de méditation) a accepté de se soumettre à deux jours d’IRM et de Pet-scans. Le but était de « sonder » son cerveau dans le même temps qu’il faisait passer volontairement et alternativement celui-ci d’un état de conscience augmentée, élargie à un état – diamétralement opposé – de torpeur cérébrale. Cette expérience a permis de mettre en relief, chez lui, une variation de 20 à 30% de la complexité de l’activité cérébrale. Ce fut donc là une patente illustration du fameux « pouvoir de la pensée ».
Nous voici rassurés : notre cerveau, par le seul effet de la pensée, peut modifier son mode de fonctionnement le plus intime. Envers et contre tout, nous disposons d’une petite marge de manœuvre, sous l’espèce de ce pouvoir de changer l’histoire que nous nous racontons.
En dépit de tout cela, LE POSTE DE CONTRÔLE, DANS LE CERVEAU, DEMEURE INSAISISSABLE.
Il faudrait, bien plutôt, peut-être, voir en ce qu’on appelle  « la conscience »  une harmonisation d’aires et de tâches cérébrales spécifiques qui se sont mises à travailler de concert du fait de l’interconnexion.
Quoi qu’il en soit, les neuroscientifiques se montrent, sur deux points, catégoriques : il n’y a pas un moi isolé […] mais un réseau de relations hyper-complexes. Et notre conscience est un récit, tant individuel que collectif.
Voilà qui peut déboucher sur des réflexions riches, aussi amples qu’excitantes.








P. Laranco.



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