mardi 25 novembre 2014

Lecture : Todd LUBART, "PSYCHOLOGIE DE LA CRÉATIVITÉ", Collection Cursus . Psychologie – Armand Colin, 2005.

La créativité fascine. N’est-elle pas, au vu de toutes les découvertes de ces cinq dernières décennies, ce qui distingue le plus fondamentalement l’Homme des autres animaux, y compris ses plus proches cousins, les singes anthropoïdes ?
Et cependant, elle demeure très mystérieuse, très malaisée à cerner de façon strictement scientifique.
Ce livre est aride, comme tout bon manuel universitaire de sciences sociales qui se respecte. Son approche est celle de la psychologie expérimentale, laquelle, elle-même, se base sur des tests menés sur des groupes d’individus. Les toutes premières recherches rigoureuses concernant la créativité sont relativement récentes, puisqu’elles remontent seulement aux années 1950.
Malgré la particulière complexité du phénomène qu’elles prennent pour cible, elles se sont considérablement affinées aux cours des décennies, jusqu’à nos jours.
D’abord, elles ont su dégager une définition consensuelle de la créativité. LA CREATIVITE EST LA CAPACITE A REALISER UNE PRODUCTION QUI SOIT A LA FOIS NOUVELLE ET ADAPTEE AU CONTEXTE DANS LEQUEL ELLE SE MANIFESTE.L’acte créatif, d’autre part, est censé demander un travail ardu et intentionnel.
Toutefois, il faut bien garder à l’esprit, en même temps, qu’il n’existe pas de norme absolue pour juger de la créativité d’une production.
Pour Lubart, qui a choisi ce qu’il dénomme lui-même une approche multivariée, […] la créativité dépend de facteurs COGNITIFS, CONATIFS, EMOTIONNELS et ENVIRONNEMENTAUX. C’est dire si les choses sont complexes mais en même temps, passionnantes.
L’individu créatif se signale par sa capacité à trouver des problèmes et à remettre les choses en question.
Envisager d’anciennes questions sous un autre angle, comme disait Albert EINSTEIN.
La « visualisation » de la pensée peut être, dans ce contexte, particulièrement utile, pour la bonne raison que […] les images […] peuvent être manipulées rapidement et ne présentent pas les limites bien définies des représentations verbales.
L’individu créatif doit pouvoir également bénéficier de […] la possibilité de relever dans l’environnement une [ou plusieurs] information[s] en rapport avec le problème à résoudre. C’est ce qui explique l’étrange phénomène, cependant fréquemment noté, selon lequel […] la personne créative peut voir ce que tout le monde ne voit pas.
De même, elle a à son actif une autre capacité assez étonnante, celle de la comparaison sélective. L’analogie, la métaphore sont, ainsi, souvent considérées comme un point de départ pour la pensée créative. En ce sens, le bon vieil Aristote, qui proclamait La métaphore, perception de ressemblances dans les différences, est le signe du génie ne s’était guère trompé, d’où cette citation, qui a, dans le manuel de Todd Lubart, toute sa place.
En matière de créativité, insiste bien celui-ci, […] la pensée analogique et métaphorique, encore dénommée par lui principe de corrélation  est un mécanisme-clé. L’étape suivante, celle qui succède à la comparaison, est celle de la combinaison. Elle consiste à […] réunir les éléments de connaissance éloignés pour former de nouvelles combinaisons.
Mais il existe un élément essentiel, central, incontournable au processus créatif : LA PENSEE DIVERGENTE. Elle consiste à […] rechercher de manière pluridirectionnelle de nombreuses idées ou réponses à partir d’un simple [et unique] point de départ. Ainsi, […] plusieurs idées différentes peuvent être générées, et il existera […] plusieurs éventualités à considérer et plusieurs pistes à essayer ; ce qui bien évidemment augmentera considérablement la probabilité de trouver une idée nouvelle et adaptée.
La quantité est donc, dans le cas qui nous occupe, mère de la qualité !
Foisonnement d’idées + sélection résument ce processus. C’est ici qu’intervient l’importance d’une capacité complémentaire : celle d’évaluer des idées et [de] choisir celles à poursuivre et celles à écarter.
Il n’existe d’autre part pas de créativité sans FLEXIBILITE mentale.
Ce que Lubart désigne sous le vocable de flexibilité, ce n’est autre que […] l’aptitude à appréhender un seul objet, une seule idée, sous des angles différents, couplée à la sensibilité au changement et à la capacité à se dégager d’une idée initiale pour explorer de nouvelles pistes.
D’autres ont dénommé cela « l’ouverture d’esprit ». Cela implique, bien sûr,  mobilité  et  souplesse de la pensée.
Et cela nous amène, sans aucun doute, à une nouvelle question : quel rapport entretiennent les capacités créatives et le fameux QI (dont la mesure, rappelons-le, est bien antérieure aux tests relatifs aux facultés d’ordre créatif) ? Assez récemment, on a mené des travaux qui ont quelque peu contribué à éclairer le problème.
Conclusions de Todd Lubart : […] les personnes créatives tendent à avoir un QI supérieur à celui de la moyenne.
Mais attention ! Cela ne veut pas pour autant dire que toute personne possédant un QI élevé ou relativement élevé sera obligatoirement un individu créatif.
En revanche, tranche Lubart, si quelqu’un a un faible QI, il va avoir un niveau faible de créativité même s’il a les traits de personnalité nécessaires, corrélés à la créativité.
En un mot, le QI est nécessaire, mais nullement suffisant.
La créativité ne peut pas non plus se dispenser de connaissance. Sur ce plan, nombre d’auteurs sont formels : […] la créativité ne peut s’exercer qu’à partir d’un certain niveau de connaissances. En effet, Les connaissances permettent, d’abord, de comprendre les situations et de ne pas réinventer ce qui existe déjà. La connaissance aide également à prendre en compte et à tirer parti des événements observés par hasard ; en outre, par la maîtrise de certains aspects d’une tâche, elle permet de focaliser sa pensée sur les aspects nouveaux de cette tâche.
On ne peut plus logique, me direz-vous !
Toutefois, si la connaissance est, de toute évidence, comme nous venons de le voir, indispensable à la créativité, elle peut parfois avoir [également]  sur cette dernière des effets négatifs.
Elle est, en effet, susceptible de réduire la souplesse de la pensée et, par conséquent, de favoriser une certaine rigidité mentale.
Fréquemment, les gens ont tendance à s’accrocher à ce qu’ils savent par éducation ou par expérience. La nouveauté déstabilise, et l’inconnu effraie. On a même été jusqu’à faire, à la faveur de tests, le constat que les personnes qui obtenaient les meilleurs résultats dans le domaine créatif n’avaient atteint, au cours de leur parcours scolaire, qu’un niveau moyen d’étude. Le chercheur B. F SKINNER résumait cet état de fait à sa façon : il y a ceux qui lisent et il y a ceux qui produisent. Moralité : « ayez des connaissances, mais surtout, n’en devenez pas l’esclave ! » - ou encore : « les maîtres sont bons et indispensables, mais ils doivent être dépassés ».
La créativité ne va, par ailleurs, pas sans certains traits de personnalité, que l’on a commencé à identifier dès les années 1920.
En 1998, un spécialiste nommé FEIST en est arrivé à conclure que les personnes créatives ont tendance à être plus ouvertes aux nouvelles expériences, à avoir plus confiance en elles, à être moins conventionnelles et moins consciencieuses que la population standard. Elles seraient de plus ambitieuses, dominantes, hostiles et impulsives. Feist note également certaines différences entre les artistes et les scientifiques. Ainsi, les artistes auraient tendance à être affectifs, instables au niveau émotionnel, et antisociaux alors que les scientifiques seraient les plus consciencieux.
De façon plus précise encore, les diverses recherches sont parvenues à isoler six traits qui présentent avec la créativité, des relations particulièrement significatives. En premier lieu, l’auteur cite LA PERSEVERANCE, laquelle aide à surmonter les multiples difficultés et obstacles.
Tout travail, quelque soit sa nature, implique forcément un effort ; dans le cas du travail créatif, une dimension de défi vient encore s’y ajouter.
En second lieu, Lubart cite LA TOLERANCE A L’AMBIGUITE, qu’il définit comme la faculté que possède (ou non) une personne d’accepter et/ou de désirer les idées, les stimuli, les situations ambigües […]. Cette faculté rend sensiblement plus apte à traiter et à gérer des problèmes complexes, car elle écarte les solutions réductrices, hâtives, incomplètes et, de ce fait, permet d’aller  bien davantage  au fond des choses. Elle est, selon les spécialistes, très fortement liée à la flexibilité.
En troisième position, Lubart place l’ouverture aux nouvelles expériences. Cette tendance se manifeste notamment par une dose notable de curiosité vis-à-vis du monde extérieur et du monde intérieur. Elle interagit avec le processus de pensée divergente pour rendre la production créative possible.
Mais il est un autre facteur qui a lui aussi son importance : L’INDIVIDUALISME.
Une individualité bien affirmée est en effet souvent la garantie de l’indépendance de jugement et, par conséquent, de la faculté de penser par soi-même.
Un peu dans un même ordre d’idées, La tendance à PRENDRE DES RISQUES est nécessairement impliquée d’une manière ou d’une autre dans la production d’idées qui, par essence […] se démarquent des idées habituelles du groupe auquel on appartient, de ses règles, de ses coutumes.
A toute cette série de traits de personnalité déterminants vient s’ajouter, en outre, en sixième et dernière position, ce que l’auteur désigne sous le qualificatif de PSYCHOTISME.
Plusieurs études le désignent comme, lui aussi, lié à la créativité. C’est un trait qui concerne le rapport qu’entretient l’individu avec le monde réel. Il peut être mis en relation avec l’agressivité, l’hostilité et l’égocentrisme. En excès, il est susceptible de dégénérer en troubles de nature carrément psychotique.
On l’a bien vu, par exemple, chez des individus tels que Nietzsche, Balzac, Antonin Artaud, Camille Claudel, Vincent Van Gogh, Virginia Woolf, Kurt Gödel, John Nash, ou encore Philip K. Dick…
Le psychotisme induit une certaine propension à développer des associations lointaines et parfois étranges, lesquelles, lorsqu’elles sont maîtrisées, peuvent conférer à la créativité d’une personne un caractère particulièrement étonnant, et inédit.
Dans le registre que les psychologues nomment les styles cognitifs (traduisez : les préférences de l’individu pour un mode donné de traitement de l’information), la créativité aurait nettement plus d’affinités avec le STYLE GLOBAL (tendance à se focaliser sur les aspects généraux d’une tâche ou d’un problème, pour en extraire l’essence) qu’avec le « style de travail minutieux » qui lui, se focalise sur les moindres détails. Les créatifs ont une grande largeur de vue.
Ils s’appuient également de façon fréquente sur l’INTUITION, laquelle, selon la définition des psychologues, consisterait en un processus de pensée subconscient de mise en relation d’informations diverses […] ou encore en la perception préliminaire d’une cohérence (pattern, sens, structure) qui guide la pensée.
Un autre aspect conatif  de la créativité est la MOTIVATION. Elle se manifeste sous deux formes, aux origines différentes, que définit fort bien Lubart : La motivation intrinsèque réfère à des moteurs ou à des désirs internes [propres à l’individu] qui sont satisfaits par l’accomplissement de la tâche ; le créatif parlera alors de « passion », de « nécessité », d’intense plaisir, voire d’obsession, de chose essentielle, centrale dans sa vie. A côté de cet aspect-là, la motivation extrinsèque se rapporte pour sa part à ce qu’on pourrait appeler le besoin de reconnaissance, une fois la tâche accomplie (gains financiers, célébrité, récompenses, etc.).
Il semblerait que la motivation de type intrinsèque soit, en termes de créativité, beaucoup plus stimulante que la motivation de nature extrinsèque. La créativité, c’est, d’abord, un plaisir ; une sorte de pulsion. Mais l’ambition, le souci d’excellence, le perfectionnisme et la « rage de vaincre » peuvent aussi jouer. Ce sont tous des formes de l’exigence envers soi-même et envers l’œuvre.
Qu’en est-il, d’autre part, du rapport entre la disposition créative et l’émotion (ou les émotions) ? D’après nombre de chercheurs, la dernière favoriserait la première.
Par exemple, les expériences émotionnelles pourraient […] permettre d’établir une passerelle associative entre deux concepts cognitivement distants mais émotionnellement proches et […] des critères émotionnels pourraient également servir à sélectionner [les idées] les plus prometteuses (Poincaré, 1908). Il existe des approches expérimentales qui consistent à tester les effets d’un état émotionnel (ou d’une humeur), positif ou négatif […] sur la performance à des tâches de créativité.
Toutefois, il faut avouer que dans l’état actuel des choses, les résultats de toutes ces recherches se révèlent assez peu propices à des interprétations franches et nettes.
Certaines recherches ont permis de constater l’effet bénéfique de l’émotion positive : cette dernière agirait sur l’attention de l’individu et faciliterait donc la perception des différents aspects et qualités des objets présents dans la tâche. L’effet des émotions positives sur la créativité survient grâce à la sécrétion de DOPAMINE. Mais tout le monde n’est pas d’accord avec cette vision des choses. Pour d’autres chercheurs, tout au contraire, une émotion positive contrarie la résolution de problèmes alors […] qu’une émotion négative la favorise. L’explication donnée est que […] les émotions positives « signalent » aux individus qu’ils sont dans une position satisfaisante ; dès lors, ils se sentent moins contraints de faire des efforts cognitifs. Ainsi, dans une tâche créative, la fluidité de l’individu diminue. Dit d’une manière moins savante, la difficulté stimule, l’insatisfaction donne envie d’aller plus loin, alors que l’autosatisfaction prédispose plutôt à un désir de prolonger, de maintenir l’état existant, d’où une certaine tendance à l’inertie, au conservatisme. La négativité serait la mère du changement, et l’évolution une réponse à des situations problématiques ou difficiles. Néanmoins, un autre chercheur, nommé KAUFMANN, a pu observer, lors d’expériences menées en 1997, que, dans une tâche de pensée divergente, les individus en situation émotionnelle positive émettaient davantage d’idées que ceux en situation négative.
D’autre part, […] les individus dans un état émotionnel positif sont plus intéressés et prennent plus de plaisir à réaliser la tâche que les individus dans un état émotionnel négatif.
Il ne faut, bien sûr, pas sous-estimer le rôle du plaisir associé à la tâche.
L’état émotionnel positif a donc, en définitive, un effet puissant, et on peut dire qu’il favorise fortement la créativité. La raison principale en est qu’il induit, chez les individus, une certaine décontraction.
Pour autant, une autre expérience, menée en 1996 par une autre équipe, a quelque peu nuancé ces résultats : ses conclusions ? L’humeur neutre est singulièrement peu propice à la créativité. En revanche, les humeurs correspondant à la joie et à la dépression ont des performances créatives […] significativement plus importantes, en comparaison. Plus surprenant encore : […] le changement d’état émotionnel, quelle que soit la condition (joie ou dépression) favorise la créativité !
Force est bien de le constater : émotion et créativité entretiennent des relations complexes et donc, passablement difficiles à débrouiller.
Pour l’instant – et dans l’état actuel des connaissances et des recherches – on ne peut que se contenter d’affirmer, avec Todd Lubart, qu’Il n’existerait donc pas un seul et unique processus sous-tendant les relations entre les  expériences
émotionnelles et la créativité, mais plusieurs mécanismes complexes, dont l’émergence dépendrait d’un certain nombre de variables contextuelles.
Par ailleurs, Le modèle de RESONANCE EMOTIONNELLE [élaboré, entre autres, par Lubart] propose que les aspects émotionnels des expériences passées contribuent à l’accès et à l’association créative de concepts, émotionnellement proches même s’ils sont cognitivement distants ; il y a, bien évidemment, en la matière, de grandes variations liées à la nature de chaque individu et à son histoire.
Lubart n’hésite pas à affirmer, à ce propos, que la richesse des représentations émotionnelles […] joue un rôle essentiel dans la pensée créative, en particulier la forme de pensée associative liée à l’originalité. Sans intelligence émotionnelle, sans compréhension des émotions, donc, pas de création !
L’ouvrage aborde ensuite l’influence exercée par l’ENVIRONNEMENT sur les aptitudes créatives.
D’entrée de jeu, Lubart est formel : L’environnement exerce un rôle clé à la fois dans le développement des capacités créatives et dans les diverses formes que peut prendre l’expression créative.
Pour commencer, […] l’environnement familial doit être psychologiquement étayant , nourrissant et relativement non critique à l’égard de l’enfant qui se développe. Et pourtant une autre vision des choses (basée sur certaines études), soutient pour sa part que la créativité se trouve, tout au contraire, hautement stimulée par les obstacles et les contraintes que le cercle familial opposerait à l’enfant.
[…] pour devenir créatif, l’enfant doit apprendre à surmonter les difficultés et à être indépendant, les cas d’individus ayant un niveau élevé de créativité provenant de foyers en difficulté ou pauvres en soutien émotionnel (familles éclatées, parents rejetants) sont en effet loin d’être rares.
D’après un dénommé LAUTREY, […] les environnements les plus contraignants comme […] les plus laxistes ne sont pas favorables au développement cognitif. L’environnement le plus stimulant s’avère être celui qui fournit à la fois des régularités (donc des contraintes) et des perturbations introduisant de la souplesse dans les règles de vie et les habitudes. En effet, […] les environnements familiaux […] rigides peuvent donner aux enfants la représentation d’un monde statique, dans lequel les choses sont ainsi parce qu’elles doivent être ainsi, et sont donc impossibles à remettre en question, alors qu’à l’inverse, un environnement peu structuré et laxiste peut […] être source d’instabilité, de désorganisation, ne permettant pas à l’enfant de maintenir une continuité dans le cours de sa pensée. Les études menées ont également porté sur le niveau socio-professionnel de la famille. D’après ce qui s’en est dégagé, le niveau socio-professionnel des parents est lié positivement à la performance dans les tâches de pensée divergente. Il serait également lié au type de structuration familiale, avec une structuration souple plus volontiers associée à un niveau socio-professionnel élevé, et une structuration rigide plus volontiers associée à un niveau socio-professionnel bas […].
Le rang occupé par l’enfant à l’intérieur de la fratrie aurait aussi un certain poids ; il influerait en tout cas sur certains traits de personnalité : ainsi, les premiers nés seraient généralement plus responsables, organisés et efficaces que les puinés, alors que ces derniers apparaitraient comme plus sociables et plus ouverts aux expériences nouvelles que leurs ainés.
Il est un autre milieu qui a aussi son importance : le milieu scolaire. Lubart avertit : […] l’école, comme le lieu de travail, peuvent […] représenter un frein considérable à la créativité.
Commençons par l’école : Plusieurs études empiriques ont montré que les enseignants peuvent avoir une conception particulière de l’élève idéal, valorisant l’obéissance et le conformisme au détriment de traits tels que la curiosité ou l’indépendance. L’élève idéal est souvent un enfant qui suit les consignes et travaille de façon silencieuse. Par ailleurs, les écoles traditionnelles ont tendance à valoriser […] des règles relativement fixes (pour maintenir l’ordre). Les connaissances sont enseignées en unités discrètes, peu liées entre elles, et la performance est évaluée par des épreuves de rappel et de pensée convergente […]. Le principe même de l’évaluation à l’école ne semble pas non plus favoriser la prise de risque en situation scolaire.
Nous l’avons compris, L’école favorise souvent la pensée convergente et, En termes de connaissance, l’information [y] est souvent transmise de façon compartimentée en insistant sur la mémorisation et le rappel […]. Certaines études ont bien montré que les enseignants favorisaient la tranquillité, les attitudes conformistes plutôt que la provocation intellectuelle qui pourrait remettre en question l’autorité du professeur.
Torrance (1968) et d’autres auteurs ont [même] suggéré que certaines baisses de performance soudaines mais temporaires dans les tâches créatives de pensée divergente, observées entre 6 et 13 ans dans des études développementales, pouvaient s’expliquer par des circonstances scolaires.
En  ce qui concerne le milieu professionnel, c’est encore pire. Les conditions propices à l’expression de la créativité sont, certes, en théorie, possibles mais, dans la pratique, rarement réunies dans un contexte professionnel, d’où, sans doute, la tendance très marquée que manifestent les créatifs à créer leurs propres entreprises. Le milieu du travail comporte beaucoup trop de hiérarchies hyper-rigides et de contraintes.
Toutes les sociétés humaines, toutes les cultures possèdent leur dimension créative, ça va de soi.
Cependant, à chaque culture correspond une conception […] de l’acte créatif qui lui est propre. A titre d’exemple, Lubart oppose la « perspective occidentale » de la création, laquelle, affirme-t-il, sous-tend un mouvement linéaire vers un point nouveau et la vision indienne ou extrême-orientale de la créativité.
La conception orientale de la créativité n’est pas marquée par un commencement et une fin, mais plutôt par le déroulement ou le développement d’un processus permanent […] fait de reconfigurations successives d’un tout initial, de réinterprétations d’idées traditionnelles sans qu’il y ait rupture.
La quantité d’activités créatives dépend énormément des contextes culturels.
Les valeurs transmises par l’environnement culturel stimulent ou réfrènent l’activité créative, en particulier selon L’IMPORTANCE DONNEE A L’INDIVIDU OU A LA COLLECTIVITE.
En Orient, par exemple, se démarquer trop ouvertement des autres est plutôt mal vu – et la place donnée au respect des traditions joue un assez grand rôle.
D’une façon plus générale, la créativité s’accommode mal du conformisme et encore plus mal du dogmatisme.
N’oubliez pas non plus qu’Une culture peut « parfaitement » encourager la créativité dans certaines situations […] sur certains sujets et chez certaines catégories sociales (notamment en fonction du sexe, de l’âge ou de l’appartenance de classe) ou au contraire l’interdire de façon catégorique. Voilà qui, par exemple, pourrait fort bien nous donner une explication – du moins partielle – du si dérisoire nombre de femmes créatives dont l’histoire humaine a perpétué le souvenir.
Bien entendu, la technologie a un grand impact sur l’activité créative. Des possibilités technologiques nouvelles ont provoqué dans plusieurs domaines des changements notables quant à la façon d’aborder une tâche créative. De plus, ces nouveaux outils ont parfois donné lieu à des découvertes scientifiques et des formes d’expression nouvelles. C’est presque une lapalissade : créativité et technologie avancent main dans la main.
Mais attention,  tout de même, à l’usage qui est fait de la technologie !
Internet, par exemple pourrait être utilisé à des fins d’efficacité et de rentabilité favorisant uniquement le consumérisme et l’hédonisme qui nuiraient gravement aux capacités d’exploration et de réflexion […], sans lesquelles la créativité ne peut exister.
De son côté, la télévision nous rend esclaves de l’image, d’une image qui s’impose à nous. Elle nous incite, c’est déjà bien connu, à une certaine passivité, à une paresse d’esprit superficielle. Regarder la télévision conduirait donc à encourager un style de pensée faiblement caractérisé par la réflexion […].
Dans leur majorité, [les] recherches réfutent l’idée de la télévision comme stimulant de l’activité créative.
A la base de tout processus créatif, il y a un PROBLEME, ou, si vous préférez, une QUESTION, une CONSTATATION.
[…] DUDEK et CÔTE (1994) ont décrit le processus de découverte du problème, dans le domaine artistique, comme un effort interne pour clore une discussion, exprimer ses émotions, ou extérioriser un état intérieur. Dans le domaine scientifique, la formulation du problème a plutôt été définie comme la découverte de failles ou de contradictions dans les connaissances acquises, comme la reconnaissance que l’objectif n’est pas atteint, ou encore que les observations ne cadrent pas avec un modèle mental existant.
Lubart le souligne avec force : […] il peut y avoir plusieurs chemins aboutissant à une production créative […] ; tant selon le domaine du travail à réaliser que selon les caractéristiques individuelles de la personne qui le réalise.
On sait à présent que la créativité est une faculté humaine qui se manifeste dès l’enfance. En 1968, le chercher TORRANCE s’est particulièrement intéressé à l’évolution qui touchait la créativité infantile. Il a, ainsi, eu l’occasion de discerner, au fil de ses observations, trois périodes de déclin dans la créativité des enfants, la première se situant vers l’âge de 5 ans, la seconde vers 9-10 ans, et la troisième vers 13 ans. On a constaté, par exemple, que le score moyen [de créativité] en maternelle était quasiment deux fois supérieur au [même] score au CP.
Vers 9-10 ans, la chute de la créativité observée dans de nombreux pays pourrait [selon ce que soupçonnent certains spécialistes] être liée à l’émergence, à cet âge, de certaines capacités de raisonnement logique.
Voilà qui a de quoi paraître pour le moins paradoxal – si ce n’est étrange, fascinant. La créativité et la logique, d’une certaine façon, s’excluraient-elles ?
Il s’avère que, vers 9 ans, certains enfants cherchent à se conformer plus étroitement aux normes, règles et conventions de « réalité » dans divers aspects de leur vie (à l’école, dans les jeux, etc.). Le développement des capacités d’évaluation, couplé à cette « orientation vers le réel », pourrait donc constituer [aussi] une explication de l’affaiblissement de la créativité vers 9 ans.
Vers 13 ans, la chute de créativité apparait comme assez fortement corrélée à des phénomènes de conformisme social.
Et chez l’adulte ?
En général, la quantité de productions augmente rapidement avec l’âge pour atteindre un sommet situé en moyenne autour de quarante ans. Ensuite, la productivité décroit lentement, s’approchant vers la fin de vie d’une valeur correspondant en moyenne à la moitié du point d’activité maximal. […] Dans certains domaines, tels que la recherche en mathématique, les années les plus productives sont souvent les premières années de vie adulte (atteignant leur pic vers 30 ans en moyenne), l’activité décroît rapidement avec l’âge, s’approchant d’une asymptote équivalente à ¼ de la productivité maximale. En revanche, dans des domaines tels que l’Histoire ou la philosophie, l’activité atteint son sommet plus tardivement (autour de 50 ans) et la pente qui s’ensuit est beaucoup plus faible.
En matière de qualité des productions créatives d’adultes, il s’avèrerait qu’une productivité intense favoriserait de manière significative l’émergence d’œuvres plus élaborées, de plus de poids. Plus on travaille, plus on a des chances d’améliorer sa production.
L’analyse des productions créatives suggère d’autre part que leur forme et leur substance varient avec l’âge. […]  Pendant les premières années de vie adulte, la créativité serait plus intense, conduisant à des œuvres empreintes de spontanéité ainsi que de remise en cause des valeurs traditionnelles dans leur champ d’expression. Les créateurs plus âgés, vers quarante ans et après, se caractériseraient par des productions plus réfléchies. […]  l’âge moyen auquel les poètes produisent leurs œuvres les plus remarquées […]  est significativement plus précoce que celui des créateurs s’exprimant par le roman ou plus généralement par des œuvres en prose.
Il faut également signaler l’existence d’un style du troisième âge, qui possède ses propres caractéristiques : ses productions tendent à s’appuyer de préférence sur l’expérience subjective plutôt qu’objective et privilégient le point de vue introspectif, l’intériorité de l’être. Les thèmes tournant autour de l’âge et questionnant le sens de la vie y sont sensiblement présents.
A ces variations dans la créativité qui se manifestent tout au long de l’âge adulte des êtres humains, les psychologues n’ont pas manqué de trouver un certain nombre de raisons : Du côté positif, les travaux ont montré que les processus tels que la définition des problèmes, la sélection des stratégies, l’encodage, la comparaison et la combinaison sélective deviendraient plus efficaces avec l’âge. De même [que] la pensée dialectique, qui se développerait […]. Néanmoins, a contrario, Des travaux ont montré notamment que la flexibilité mentale (la capacité à faire face à des situations d’un genre nouveau), la pensée divergente et l’attention sélective étaient affectées par le vieillissement […] , dont, de toute façon, L’effet le plus remarquable sur les aptitudes intellectuelles consiste en un ralentissement général des capacités de traitement de l’information […] .
Il n’empêche que Chez les plus âgés, une base de connaissances importante peut  parfaitement aider à compenser » cette chute dans les capacités de traitement de l’information. N’oublions pas, en effet, que […]  les connaissances tiennent une place centrale dans l’expression créative !
Mais les connaissances ne vont pas, elles non plus, sans une indéniable forme de dynamisme ; elles doivent impérativement se renouveler, se réactualiser. La perte de flexibilité, ou la mise en place d’un système de pensée « rigide » suivant lequel il n’existerait qu’une façon « correcte » d’aborder un problème entrave, chez le sujet âgé, l’acquisition de connaissances nouvelles, ainsi que le jaillissement de nouvelles idées.
De même, […] la tolérance à l’ambiguité, mesurée par la Barron-Welsh Scale, décroit avec l’âge, particulièrement après 50 ans, et, pour ce qui est de la persévérance, […] l’âge s’accompagne [on le sait] d’une baisse de vigueur et de combativité  face à  la frustration inhérente à l’activité créative ; la fatigue joue !
Le créateur âgé aura ainsi une certaine tendance à « dormir sur ses lauriers » sans plus chercher à surpasser ses contributions précédentes, et ce, bien sûr, d’autant plus qu’il est reconnu. Son âge avancé l’incitera à la prudence et, donc, émoussera sa tendance à la prise de risques, si essentielle à l’a démarche créative.
Il faut également compter avec le poids de plus en plus prégnant du conformisme, chez les adultes âgés de 60 ans et plus […].
Il est une dimension de la créativité dont la constatation ne date pas d’hier : elle est fort troublante puisqu’elle a trait au lien qui existe entre Créativité et troubles mentaux. N’avons-nous pas tous en tête l’image du savant fou, ou du génie fou ? Van Gogh, Virginia Woolf, Gödel, Camille Claudel, Nietzsche, Arthaud, cela vous parle ?
La psychologie expérimentale a, elle aussi, essayé de tirer cela au clair.
Concernant les facteurs cognitifs de créativité, les associations d’idées occupent une place essentielle. On observe des associations d’idées inhabituelles aussi bien dans les états hypomaniaques (« sauter du coq à l’âne ») que dans la schizophrénie (enchaînement d’associations lointaines au caractère bizarre), qui peuvent favoriser le processus créatif.
Concernant les facteurs conatifs, selon EYSENCK (1995), l’effet du PSYCHOTISME, en interaction avec l’intelligence, serait important pour le processus créatif et expliquerait que la créativité soit parfois observée chez des personnes psychotiques. Rappelons à ce propos que le psychotisme n’est pas identique à la psychose mais que, toutefois, […] un niveau élevé de psychotisme peut augmenter le risque de développer des troubles […] comme la schizophrénie ou la psychose maniaco-dépressive. Plusieurs études […] mettent en évidence des corrélations entre le trait de psychotisme et la créativité, plus particulièrement au niveau de la production du nombre total d’idées et de leur spécificité.
Concernant les facteurs émotionnels, des émotions intenses peuvent favoriser la créativité en stimulant les associations d’idées, ou en nécessitant une décharge de la tension émotionnelle dans la production créative. Mais là encore, des facteurs émotionnels en excès, sans moyen de contenir, contrôler ou réguler ces émotions, peuvent entraîner des débordements […] comme les impulsions violentes imprévisibles observées dans la schizophrénie, ou encore l’euphorie et l’exaltation maniaques et entraver tout processus créatif.
L’étude des cas de BALZAC et de NASH [proposée dans l’ouvrage] illustre bien comment les facteurs cognitifs, conatifs et émotionnels sont à la fois des facteurs de créativité et des facteurs de vulnérabilité à la psychose.
L’hypothèse adoptée ici par Todd Lubart est que […] certains facteurs de créativité seraient également des facteurs de vulnérabilité aux troubles mentaux, sur lesquels interviendraient des facteurs environnementaux de décompensation ou de stabilisation. Les troubles psychotiques apparaitraient lorsque  les facteurs de créativité-vulnérabilité en excès déborderaient le sujet et qu’il y aurait une perte de contrôle, ce qui serait potentialisé sous l’effet de facteurs environnementaux stressants et déséquilibrants. Au contraire, les facteurs de créativité-vulnérabilité, soumis à des facteurs environnementaux stabilisants et contenants, seraient canalisés et permettraient l’élaboration de la production créative.
Les facteurs de créativité-vulnérabilité pourraient trouver leur origine dans certaines caractéristiques d’ordre héréditaire, génétique.
Il faut aussi prendre en compte un autre fait, non dénué d’importance ; l’activité créative a souvent pour effet de stimuler et donc de renforcer les émotions intenses (comme l’exaltation, ou l’euphorie) et les idées de grandeur liées à une sensation de toute-puissance, ce qui pourrait favoriser l’apparition des troubles mentaux. D’autre part, les phases aigues de décompensation psychotique, tout comme l’installation d’une maladie mentale chronique inhibent de façon dramatique les capacités créatives.
Conclusions : dans l’état actuel des recherches et des hypothèses, on soupçonne de plus en plus que […] certains facteurs favorisant la créativité seraient également des facteurs de vulnérabilité aux troubles mentaux, notamment aux psychoses maniaco-dépressives et à la schizophrénie.
Autrement dit, les plus anciennes intuitions tendent à se voir confirmées par la recherche scientifique : […] du Génie à la Folie, il n’y a qu’un pas.
La créativité ne serait-elle, dans le fond, qu’une sorte de maladie ?
Voilà qui, on en conviendra, ouvre sur des abîmes de réflexion très larges.
Grâce à ce livre, en tout cas, la créativité commence à perdre une bonne partie de ses mystères (mystères qui, rappelons-le, intrigue depuis fort longtemps les panseurs, les chercheurs scientifiques et…le commun des mortels). On sait à présent, quoique depuis peu , qu’elle est liée non à un (ou plusieurs) « dons » ou caractéristiques d’ordre « surnaturel », quasi « magique », mais à certaines dispositions propres à certains esprits humains.
Au même titre que des quantités d’autres phénomènes d’ordre naturel ou humain, elle est susceptible d’être mesurée – et elle l’est, au moyen de certains TESTS, sans lesquels un ouvrage tel que Psychologie de la créativité n’aurait, en s’en doute, jamais pu voir le jour.
Parmi ces tests figurent Les tests de PENSEE DIVERGENTE (capacité […] à générer un grand nombre de réponses alternatives à un problème dans le but de produire plusieurs idées différentes et originales), qui reposent sur la détection, chez un individu donné, de trois indices : la FLUIDITE (capacité […] à produire de nombreuses catégories de réponses à une tâche) et l’ORIGINALITE (aptitude […] à générer des idées statistiquement rares).
Les épreuves de Torrance, élaborées en 1976, ont été, et […] sont encore maintenant les plus utilisées en la matière. Elles permettent d’évaluer les aspects tant « quantitatifs  (fluidité, flexibilité) » que « qualitatifs (originalité, flexibilité) » de la pensée créative.
[…] un certain nombre de recherches montrent que les tâches de pensée divergente prédisent de manière acceptable le POTENTIEL CREATIF des individus.
Outre les tests de pensée divergente, on utilise d’autres types de mesure, dont certaines sont centrées autour de l’ASSOCIATION (tests d’association de mots ou d’objets, tests de métaphore).
Les problèmes d’insight et le test d’association lointaine de MEDNICK (1962) sont – mis à part les tâches de pensée divergente – les mesures cognitives les plus représentatives et les plus employées pour mesurer la créativité.
Les tests conatifs, pour leur part, s’intéressent aux traits de personnalité (questionnaires,  auto-évaluation…) et aux styles cognitifs (qui évaluent les manières préférentielles de traiter l’information), ainsi qu’à la MOTIVATION (Un moyen d’estimer la créativité d’une personne est d’examiner les préférences et les intérêts de celle-ci pour une variété d’activités créatives. Cet examen se fait généralement à l’aide de questionnaires […] ou à partir d’entretiens et d’observations. Des questionnaires d’auto-évaluation existent aussi.).
La créativité étant, comme nous l’avons constaté, un phénomène éminemment complexe et, par conséquent, même aujourd’hui encore, assez insaisissable ou en tous les cas malaisé à cerner selon les critères de la stricte rigueur scientifique, Lubart souligne à quel point il est […] important, pour mieux la comprendre, d’utiliser de multiples mesures […].
L’enjeu est de taille : comprendre la créativité, c’est comprendre l’essence même de la nature humaine, de l’HOMO SAPIENS !
Je ne peux en tout cas, pour ma part, que saluer cet austère traité : il m’en a appris énormément, avec toute la rigueur scientifique voulue. Je n’encenserai jamais assez la simplicité, donc la clarté  de son style.






P.  Laranco

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