mercredi 29 octobre 2014

Un texte de Umar TIMOL (Île Maurice), L'EMPREINTE.

L'EMPREINTE.



Ce n’est que l’empreinte, l’empreinte d’un corps, qu’il enroule autour du sien, lors de l’inquiétante solitude des nuits, lorsque le vide se fait en lui. Il l’enroule autour de son corps et il devient un cocon dans lequel il délibère avec ses soifs. Ce n’est que l’empreinte, l’empreinte d’un corps, il pensait l’avoir oublié, vingt ans déjà, une histoire qui n’a duré en tout et pour tout que quelques semaines, il était si jeune à l’époque, si naïf, un fervent de l’amour passion, il avait tout donné, il était devenu une épave sur l’autel du désir, puis ils avaient rompu pour les raisons convenues, lui chrétien, elle musulmane, et il avait appris la syntaxe du deuil, qu’on peut mourir tout en demeurant vivant, qu’on peut se métamorphoser en une loque, cesser d’être, de respirer, de vivre, son corps une dépouille enivrée de mort.


Ce n’est qu’une empreinte et il a évidemment oublié, il a fait la part des choses, le temps passe, fuit, l’indispensable devient superflu, les émotions sont ce qu’elles sont, incohérentes, contradictoires mais l’empreinte surgit parfois, ainsi le souvenir de son corps, corps, moment volés à la vie, moments volés à la défaite, sa chair n’était pas tant un territoire mais un déracinement, ainsi s’extraire de soi-même pour peupler les charniers de l’extase, son corps était une œuvre de générosité, le baptême de succulences toujours renouées. Qu’est-ce que le temps quand une nuit demeure affligée par trop de déchirures, corps qui se cherchent, qui s’émeuvent mutuellement ? Qu’est-ce que l’ordre des lois quand des corps rendus à l’instinct martèlent les périples de l’ensauvagement ? Qu’est-ce que la vie même quand elle revêt le visage de son contraire mais un contraire qui s’achève dans une agonie ? Ce n’est qu’une empreinte mais les corps parfois se déploient comme de la soie, ils en ont la légèreté, la douceur, ils se muent selon des trames insensées, deviennent sari ou linceul, qu’importe mais ils savent les formes de ceux blessés de révolte.


Et il n’arrêtait pas de lui dire, je t’aime, des mots devenus des incantations, répétés sans cesse, il ne pouvait plus s’arrêter, je t’aime, c’était l’amour d’un corps affamé, il avait attendu, attendu tant d’années et son corps revendiquait désormais cet autre, il ne lui appartenait pas mais il lui permettait de s’oublier et d’être, d’être enfin, comme une pierre peaufinée par le roulis de la lave et il l’aimait, je t’aime, je t’aime, je t’aime, son corps résolu à cette attente, son corps transmué par l’argile de leur imaginaire. Il l’aimait.


Ce n’est qu’une empreinte et il s’en est toujours foutu des gestuels de nos frontières, que lui importait sa communauté, sa religion, dans le cri orgiaque des émotions il n’est que deux corps réunis pour une même célébration, que lui importait l’alibi d’une identité précise, il préférait la confusion des sens, il préférait la poussière des sueurs dont la demeure est la chair de l’autre, chair qui est l’émanation d’une terre mélangée. Ce n’est qu’une empreinte mais l’empreinte de la transgression et de ses possibles.


Ce n’est qu’une empreinte mais l’autre se perpétue en soi, le premier amour est le premier rituel des corps, il trace la charpente des passions à venir, on n’invente jamais rien de nouveau, l’autre est toujours réincarné, il possède une matière qui n’est autre que la matière est commencements, ainsi premiers mots, désir naissant, premières angoisses, premières folies, un rite toujours ressassé et matière de l’alchimie de l’autre, dans son rapport à l’autre, le cycle de sa peau réinventé en l’autre, le cycle de l’amour toujours le même mais dissemblable, son empreinte en soi, rien qu’une empreinte, son empreinte en l’autre, deux miroirs qui se mêlent, qui deviennent non pas un miroir mais une multiplicité de miroirs, une mémoire des origines et de ses dépassements.


Vingt ans. Ce n’est qu’une empreinte. Rien qu’une empreinte. Mais comment se fait-il qu’au fil des années le corps de l’autre ne se dissipe jamais tout à fait, que son empreinte demeure, quelle est donc cette force ? D’où vient-elle ? Et il suffirait d’un rien pour que tout s’embrase à nouveau. On croit oublier mais on n’oublie pas, elle est en lui, lovée dans les anfractuosités de son corps, empreinte d’un premier amour, empreinte de l’interdit, empreinte qui se mêlera au sceau qui taira la traversée de son sang.





Umar TIMOL


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